Lauréat au Prix Fernand Baudin, Concours des plus beaux livres Bruxellois 2008
En provenance d’un collectionneur privé, 200 images nous parviennent de cet extraordinaire photographe malien qu’est Malick Sidibé. Ces images sont non triées, sans chronologie et sans thématique. Une collection brute parmi lesquelles des chefs-d’œuvre entrés dans l’histoire de la photographie et d'autres, plus récentes, de gens, de proches, prises de dos, en rupture totale avec les photographies auxquelles Malick nous avait habitué ; celles d’une certaine joie de vivre, de la sape et des surprise-parties du Bamako "yéyé" des sixties. Cinquante ans de tirage de portraits à la chaîne et longtemps, pour Malick Sidibé, sans s’imaginer que ce qui était autant sa passion que son métier serait bientôt reconnu comme un art par les musées du monde entier jusqu’à recevoir le Lion d’Or de la Biennale de Venise en 2007.
Encore fallait-il structurer le livre. Il nous est apparu que cette dualité entre le temps passé et le temps présent formait une rupture, une forme de résignation face aux espoirs déçus mais toujours vivaces des lendemains de la décolonisation. Ce terme "de lendemain" fut décisif. Nous avons organisé le livre en un récit d’une longue journée qui se prolonge en une nuit de fête dont le lendemain sera tout autre, portant tout le poids de ce qu’on avait laissé derrière soi.
Une journée ordinaire qui commence le long du fleuve Niger, où les jeunes se réunissent tôt pour se rafraîchir d’une journée qui promet d’être chaude. Viennent ensuite les préparatifs des cérémonies du dimanche, réunions familiales ou religieuses. L’après-midi est consacrée aux animations de la rue où des hommes forts et quelques boxeurs font des démonstrations. Et pourquoi pas, passer chez le photographe qui fixera sur pellicule la nouvelle moto ou la petite nièce. Viennent enfin les préparatifs de la fête : musiciens qui s’accordent et panoplies vestimentaires. Les poses se prennent en série devant la caméra et fond unique du studio. On se presse chez le photographe. En fin de journée, Malick quitte l’atelier pour rejoindre des amis et écouter les vinyles d’importation. On s’habille en prince de la sape, la nuit tombe. On rejoint les clubs, les corps à corps peuvent débuter avant de s’endiabler au son d’un James Brown. Que la nuit est belle… Mais la fatigue pointe, les corps s’affalent dans les divans, les dernières bières sont bues. Pour rentrer, on soutient les plus éreintés qui ne se redressent plus. Au petit matin d’après-fête, rien n’est plus comme avant. Le fardeau du lendemain qui déchante rend le quotidien moins commode mais au choix de l’indépendance il faut répondre, il faut se redresser et reprendre le chemin.
Le livre est donc conçu en trois parties narratives : le jour, la nuit, le lendemain. Il est aussi produit selon un double principe : les images sont placées selon un dispositif de défilement à la chaine, laissant légèrement apparaître sur les bords de pages les précédentes et suivantes, sauf pour certaines auxquelles on consacre une pleine page pour lancer une thématique ou créer des transitions. Elles sont toutes recouvertes d’un épais vernis brillant qui ne recouvre pas la totalité des pages mais seulement la surface intérieure des marges. C’est l’aspect professionnel, de commande, celui où les situations sont regardées au travers une lentille et l’œilleton en verre, avec une certaine distance. Par contre, les images en extérieur, de musique et de danse, sont des instantanés de situations où Malick fait partie intégrante de l’ambiance festive. Elles sont reproduites sur un papier chaud, teinté d’une couleur marron entre jour et nuit, dans un format plus petit, plus intime que le reste du livre.